Textes et articles
|
Samira Cambie a donné carte blanche à Claude Buraglio pour l’exposition qui se tient actuellement à ses cimaises, appelée « A l’économe ». On y découvre une artiste qui travaille volontairement avec des matériaux humbles et de récupération, dans une palette de couleurs réduite, et qui, bien souvent, évoque des sujets modestes.
Zoomorphisme et anthropomorphisme des végétaux
« J’expose ici des sujets que je traite au long cours », commente Claude Buraglio. Dont des œuvres représentant des cactus (linogravures…). « Sur un muret, chez moi, il y a un alignement de cactus. Je les trouve intrinsèquement structuraux, ils m’inspirent. Certains m’évoquent la couronne d’épines du Christ », s’exclame-t-elle. Quant aux aloé vera, « ils soignent et étanchent la soif dans le désert ». Une sculpture de cactus est composée de carton d’emballage, d’emballage de pain et de papier de soie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, elle n’est pas peinte. Ce sont les divers papiers qui lui donnent ses différentes nuances.
Si l’exposition est intitulée A l’économe, c’est parce que Claude Buraglio représente, à l’huile sur papier recyclé ou sur papier de verre, à la mine de plomb ainsi qu’en volume, des pommes de terre, parfois accompagnées de l’inévitable économe pour les éplucher. Pourquoi des pommes de terre ? « L’un des plus beaux films d’Agnès Varda était Les Glaneurs et la Glaneuse. Dans ce documentaire, elle suivait des personnes pauvres qui récupéraient les pommes de terre oubliées dans les champs après le passage des cueilleurs, à la fin de la saison ».
« Et la pomme de terre a souvent été traitée dans l’histoire de la peinture. Fin 2018, au Musée d’Art Moderne, lors de l’expo Balthus-Derain-Giacometti, j’ai vu une étonnante Nature morte de 1937 de Balthus évoquant un drame. On y voyait une carafe cassée, un marteau, une veste sur le dossier d’une chaise, un couteau planté dans un pain et une fourchette plantée dans une pomme de terre. Il a su admirablement rendre ce geste. Depuis, les pommes de terre me fascinent. » D’autant qu’elles symbolisent parfaitement la crise économique actuelle, complète l’artiste. « Quand Van Gogh peint des pommes de terre, il représente la famine », analyse-t-elle.
Modestie des matériaux
Le titre A l’économe revêt ici un double sens : éplucher avec un économe, mais aussi faire à l’économie, avec de petits moyens. Claude Buraglio explique : « J’habite en pleine campagne, dans le Lot-et-Garonne. On y côtoie la beauté des paysages, mais aussi la misère, la paupérisation. J’ai décidé de créer sans grandiloquence, d’une façon qui reflète mon mode de vie et le lieu où j’habite, avec simplement du carton, du papier d’emballage glané ici ou là et quelques tubes de peinture à l’huile que j’ai depuis longtemps. J’ai créé une œuvre sur du papier que j’ai trouvé sous des packs de lait chez Lidl. Il avait déjà une empreinte. Dans mon esprit, ça lui donne une qualité particulière. C’est un papier très pauvre, fait pour aller directement au recyclage, mais il me raconte des choses. J’aime que les matériaux me racontent des histoires. Et j’utilise les couleurs atones de la rue, ou celles de la nature ». Elle ajoute : « Je ressens de l’émerveillement à créer quelque chose avec trois fois rien ». Quand on évoque sa filiation artistique avec son père Pierre Buraglio, elle l’assume concernant la simplicité des matériaux utilisés.
Beauté des volumes
« Pour les volumes, pièces les plus récentes, je me suis inspirée des primitifs flamands, et en particulier d’Albrecht Bouts, dont j’ai adoré l’exposition La Passion présentée à Luxembourg en 2017. Ses petits tableaux de mater dolorosa étaient de véritables merveilles. Et j’ai pensé à Rodin. J’ai eu envie de créer à partir de ça », se souvient Claude Buraglio.
Elle poursuit : « J’ai donc travaillé avec du carton d’emballage et du papier de farine par embossage sur le monument aux morts de la ville où j’habite, pour créer des Douloureuses. C’est un plaisir pour moi de travailler le papier ; il est totalement malléable, on peut en faire ce que l’on veut. C’est comme si je travaillais de la terre glaise. Mais c’est un processus long qui induit une notion de labeur. Il faut appliquer de nombreuses couches… Les Douloureuses évoquent à la fois la douleur de la perte et la facture financière, que l’on surnomme en langage commun une ‘douloureuse’. Elles sont très brutalistes, campagnardes, incarnées ».
Projets
Après cette exposition à la Galerie Samira-Cambie, on pourra voir des œuvres de Claude Buraglio, du 17 décembre 2020 au 6 février 2021 à Paris, à l’occasion de l’exposition collective Septet à la Galerie Ceysson-Bénétière (23 rue du Renard), aux côtés d’œuvres de Pierre Buraglio, Bernard Plossu, Bernard Pagès, Roger Bissière, Gilles Aillaud, Emmanuel, et Boris Taslitzky.